dimanche 26 octobre 2014

Premières questions sur la poésie.



La poésie est-elle un sirop ?
Garder le tranchant du poème.

La poésie est-elle un îlot ?
Préserver l'ouverture du poème.

Le poème est-il un tombeau ?
Arpenter les cimetières de poèmes.

La poésie est-elle un brûlot ?
Plonger dans l'eau du poème.

Le poème est-il un sanglot ?
Puiser dans les pleurs le poème.

La poésie est-elle route pour la gloire ?
Serpenter dans les traces du poème.

Le poème est-il un bibelot ?
Ciseler la dentelle du poème.

La poésie est-elle un marigot ?
S'enliser dans les arcanes du poème.

La poésie est-elle un coquelicot ?
Parsemer de rouge-sang le poème.

La poésie n'est-elle que des mots ?
Hurler, murmurer ou taire le poème.

La poésie est-elle un confessionnal ?
Écrire des poèmes de comptoir.

La poésie est-elle dans l'alinéa ?
Écrire des poèmes en prose.

La poésie peut-elle se passer de la rime ?
« Que vers il y a sitôt que s'accentue la diction, rythme dès que style . »

La poésie doit-elle être engagée ?
Maiakovski recommande d'introduire le langage quotidien dans le poème.

La poésie est-elle aussi indispensable que l'air, l'eau, le feu ou la terre ?
Écrire sur le fil des poèmes underground.

La poésie vit-elle des gros sabots des sentiments ?
Écrire une poésie de l'inframince.



Lirina Bloom 
avec Mallarmé, Maïakovski et Marcel Duchamp.


mercredi 17 septembre 2014

Les maisons en héritage.



Les maisons pleurent-elles de voir se battre pour elles les héritiers ? Ou rient-elles de l’abandon où ces luttes les laissent ?


Les murs suintent et les chambres puent la moisissure.
La poussière s’entasse aux seuils, signant le vide.
La porte grince quand on l’ouvre. Les écailles de peinture ornent les persiennes.
Les maisons savent exactement ce que veut dire le mot décrépitude.

Elles ignorent la métaphore de la ruine, elles sont la ruine même et en personne.






Une histoire qui s’étiole, se fane et puis pourrit.
Les héritiers ont laissé faire au temps ce qu’ils n’avaient pas le courage de réaliser.
Mettre en pièce, dépecer, disperser, distribuer, se partager, démonter, séparer le bon du mauvais.

Ne plus voir que la blancheur des os nus.
Contempler la rigueur du squelette. 

Pour cela, il faut attendre. Il faut passer par le désordre des chairs et l'odeur et la nausée.







Les maisons savent exactement ce que veut dire le mot nauséabond. 

Elles étaient ce nid, comme un ventre d'où il faut bien sortir. Elles étaient cette douceur de revenir pour  revivre l'audace des départs.





Elles avaient ce parfum familier, indescriptible et pourtant parfaitement reconnaissable. 



Elles avaient cet ordonnancement un peu désuet qui suscite le passé et la nostalgie.





Aussi, dans les ruines des maisons, le désastre est grand, car il atteint les corps qui nous ont fait naître.


Une sœur ennemie veut rester seule pour restaurer le lieu dans sa splendeur passée. 
Curer la maison, remettre un bon coup de blanc, trier le bon grain et l'ivraie.

Mais qui restaurera le savoir ancien de faire tenir ensemble les contraires.



Qui choiera les nuances, les perspectives, les différences, les variations subtiles ou radicales.


Dans la poussière tout finit par se confondre. Pire, tout finit par se fondre en poussière. 

Les larmes font  des coulées de boue.

Ni perles, ni diamant.

Seuls restent les yeux hagards des enfants égarés. 


La maison en héritage contient toutes les maisons d'enfance. 

Les meubles ont transité et sont arrivés là et ils se sont figés. 

Perclus de souvenirs.







Ils sont d'abord allés de l'intérieur du pays vers le bord de mer, puis de la campagne à la cité dans la ville basse, puis après l'attentat ils sont partis sur les hauteurs surplombant un autre bord de mer, puis ils ont été transportés dans des containers sur des navires, puis ils étaient à la lisière du village et puis en son cœur. Alors, ils sont restés là.


Les héritiers doivent patiemment vider les objets de leur sens pour pouvoir s’en défaire.




Ou transporter ce sens ailleurs, dans une image, dans des mots, des rires ou des larmes échangées, dans les fêlures secrètes.

Les maisons dont on hérite doivent être évaluées et les objets qu’elles contiennent aussi.

Chaque objet, un par un, doit rencontrer son destin. Il y faut un classement : directement et sans réfléchir à la poubelle, ce sont les plus simples, mais il y a  aussi moche avec valeur, moche sans valeur, affectif beau, affectif moche, périmé, démodé, vintage, antiquité, prendra un jour de la valeur, encombrant, facile à transporter, léger, pesant, en miette, cassé, à recoller, cassé à jeter, à jeter sans regret, à jeter en s’arrachant le coeur, dangereux, coupant, rose bonbon, bleu pétard, crocheté par la grand mère adorée, hérité déjà d’une soeur par la mère, évoquant la maladie du père … 





Cela n’en finit pas.

Le classement erre. Penser, classer. La pensée aussi s’égare, le classement s’en ressent. Les bords des ensembles sont flous, les sous ensembles se multiplient à l’infini, alors, faudrait-il une classe pour chaque objet, la liste, au un par un : aucun groupe ne survit, ils se font et aussitôt se défont.





Les maisons dont on hérite créent le désordre de l’esprit, embrouillent les idées, créent un épais brouillard, donnent envie de fuir et de mettre la tête dans le sable.







C’est alors qu’on tombe sur les derniers objets portés par la morte, la dernière chemise qui a touché sa peau, sa brosse à dent, sa bague de fiançailles et son alliance dans lesquelles est passée la chaine qui était à son cou, pour que le tout tienne ensemble, pour que rien ne se perde vraiment, et puis un petit pot de crème de nuit à l’odeur familière, le sac à main, un porte monnaie et dedans quelques pièces, un répertoire où on lit des noms, des adresses et des numéros de téléphone, un post-it qui dit "Play : attention, pour démarrer il suffit d’appuyer sur play ».





On pensait avoir tout jeté en mettant le corps en bière, en regardant hallucinés le cercueil descendre dans la fosse, en réprimant le cri, en contenant les larmes, en faisant ce silence là, le seul qui soit à même de dire quelque chose du renoncement à la vie de celui qui va en son tombeau, sa dernière demeure.





Mais il reste aux héritiers la maison : sa dernière maison, celle rêvée par la morte comme le lieu des retrouvailles après son définitif départ.

Elle n’avait pas imaginé que son absence entrainerait avec elle tous les liens.




Les liens se sont défaits - tous - et reste la maison, à dépecer, à éventrer, à retaper, à redistribuer, à découper, à vider comme on dit d’un poulet, d’un lapin, ou d’une oie.

Il faut y mettre la main, le bras et tout le corps, y entrer, contempler l’absence puis le désastre de la perte du sens de chaque objet, des motifs des tapisseries, de la couleur des peintures, de la disposition des meubles, des lustres.

Aux lustres, on a laissé une seule ampoule, en entrant dans la maison, les héritiers rebranchent le compteur, en sortant ils le coupent.






Ils coupent l’eau aussi. 
Un seul robinet n’est pas bloqué par le calcaire et seules les toilettes extérieures sont utilisables.










Le jardinet est envahi de branches mortes, les arbres des voisins sont parvenus à gagner du terrain. La balancelle blanche a pris une couleur de rouille, tout grince.

La maison des héritiers va résolument vers l’immobilité. Se figer, se raidir, refuser l’entrée, perdre son sens puis sa voix.




Les maisons des héritiers, qu'elles soient grandes ou petites, modestes ou cossues, belles ou laides, sombres ou lumineuses, incitent aux mêmes tourments, aux mêmes rivalités, aux mêmes guerres.

C'est simple alors, on ne se parle plus. On évite de se voir, de se croiser même, de s'inviter, et surtout de se retrouver au même moment ensembles dans la maison.

C'est simple. On ne peut plus se voir.



Les héritiers viennent tour à tour tenter d'en extraire un peu de ce qui a fait leurs joies : enfance, tendresse, rires, germe des inventions futures, indéfectibles liens, persiennes animant les raies de lumière pendant les siestes, couleurs incongrues des couvertures, broderies des initiales sur les draps, poupées décolorées, livres aux reliures de cuir, petits bols de cuivre, napperons crochetés par l'aieule, chansons anciennes, photographies aux bords dentelés...







Les héritiers méritent-ils les maisons en héritage?


Lirina Bloom 

avec les maisons-collages de Louys Green ©





mardi 15 juillet 2014

Jaime Jorissao. 12.


Ainsi, en nos vieux jours, nous revenait l'enfance :
Comme on tombe en tendresse, nous tombions amoureux.

Les rires étaient aigus comme nos souvenirs
Désillusions du temps nous échangions nos rêves.

Ces anciennes histoires que nous aimions redire,
Dire et redire encor, comme pour oublier ;

Enfin tourner les pages, contempler les tombeaux
Du livre jamais écrit que pourtant nous lisions.

Des étoiles complices s'allumaient dans nos yeux
Et nous reconnaissions le plaisir du partage.


Jaime Jorissao
Traduit du portugais par Lirina Bloom

vendredi 20 juin 2014

Jaime Jorissao. 11 .


Dans la tristesse vient une brise légère
Bien plus fraiche que le sirocco des amours.

Dans l'amour reviendra le regret des chimères 
Diaphanes et bleues, oubliées sur les routes,

Nos routes se croisaient, mais ce n'était qu'en vain,
En dehors de la tienne, ma vie sera passée.

Le passé pénétrait dans les filets du temps 
Et ton cœur emmuré ne se laissait pas prendre, 

Les doux mots murmurés tombaient comme un soupir 
Car sans cesse les morts disaient  leur dernier souffle.


Jaime Jorissao
Traduit du portugais par Lirina Bloom

dimanche 2 février 2014

Jaime Jorissao. 10 .


Posé devant tes yeux comme un navire de pierre,
L'énorme bâtiment s'orne de ses lumières.

Tu le vois le matin et tu le vois le soir,
Tu médites et comprends que, paquebot du temps, 

D'apparence immortel, il t'aide encore à vivre,
A oublier la mort dans l'illusion des rêves. 

Tu t'accroches à ses murs, tu t'emprisonnes en eux, 
Tu te sens bien ainsi et parle aux disparus. 

Et, comme toi passant pour un temps sur la terre, 
Sans cesse sa présence en étire les heures.

Jaime Jorissao
Traduit du portugais par Lirina Bloom

mardi 28 janvier 2014

Jaime Jorissao. 9 .


Fini l'enchantement, les vapeurs des amours,
Revient comme un vautour la peur des lendemains.


Rien ne vaut le malheur pour maintenir enfin
Les arêtes acérées des solitudes nettes.


Fuir toujours fuir. Là-bas, le sol mouvant des sables
Avale un dire acerbe qui ne se contient plus.


Diablerie d'être un corps privé de cabrioles,
Dresser un chef porteur d'un noble diadème


Garder ses lèvres closes et déplissant le vrai
S'entourer d'océans comme une île engloutie. 


Jaime Jorissao
Traduit du portugais par Lirina Bloom

vendredi 17 janvier 2014

Jaime Jorissao . 8 .


Les blancs entre les mots disent plus que les mots 
Les silences du chant chantent plus que le chant

La couleur se soustrait aux vides de la toile
L'espace se soutient des volumes en creux

Ton absence paraît le centre de mon être 
Tourne toujours autour le bonheur de mourir 

L'oubli des lendemains sans moi sans toi sans rien 
Font ce rire en plein cœur des plus folles tristesses

Entre les pas posés l'un puis l'autre qui suit
L'instant inexistant au suspens de la marche.


Jaime Jorissao
Traduit du portugais par Lirina Bloom
Licence creative commons

samedi 11 janvier 2014

Jaime Jorissao. 7 .


J'ai rêvé de dormir dans l'orbe de tes bras
Et de laisser couler serpentine colonne

Les désirs endigués, les rires contenus.
J'ai rêvé de tes yeux d'où surgirait  ta voix

Le silence des forêts, les bords bleus des étangs.
J'ai rêvé dans l'espoir de revoir les torrents

Tes larmes et tes rires, les roches de l’Atlas
Roulant dans les vallées aux clairières enneigées.

J'ai rêvé d'un matin où j'aurais murmuré
Secrètement l’espoir que tu le veuilles aussi.



Jaime Jorissao
Traduit du portugais par Lirina Bloom

Licence creative commons

lundi 6 janvier 2014

Jaime Jorissao. 6 .


Tu bâtis un pays dans la blancheur des toiles
Soleils d'orange amer à la douceur de miel

Maisons dégringolant et terrasses et fenêtres
Escaliers vers le ciel ouverts sur les jets d'eau

Signes sur les maisons dans les chemins qui montent 
Et chevaux et gazelles se cachant dans les rues 

Quand la mer furieuse nous avait séparés
Quand des hommes criaient liberté liberté

Tu étais cet enfant au regard habité 
Tenant entre ses mains un futur de merveilles. 


Jaime Jorissao
Traduit du portugais par Lirina Bloom.


Licence Creative Commons.