vendredi 1 mai 2015

Cinquième méditation sur le LIVRE. 57 à 70

Au contraire des livres de papier, les livres de lumière sont l'évanescence même.

Le livre se feuillette, se lit dans le désordre, en commençant par la fin, ou de bout en bout et d'une traite.
Les livres s'empilent et attendent d'être lus.
Les livres sont traduits.
Les livres peuvent être bilingues, mais le psalterium quincuplex disait les psaumes en cinq langues avec annotation en hébreu des noms de D.
Les livres sont notre mémoire, et toute mémoire n'est pas bonne à lire.

Le livre se livre, le livre délivre.
Le livre dit, le livre prédit, le livre redit.

Il y a le livre de chevet, le livre d'image, le livre de classe, le livre de poche, le livre de prières, le livre relié, le livre à spirale.

Le livre numérique est-il vraiment dématérialisé ou est-il une image de livre qui nécessite un arsenal d'appareillages inouïs pour être lue.

Affirmation numéro 1 : le livre sur papier est irremplaçable.
Affirmation numéro 2 : le livre sur papier est amené à disparaître inéluctablement.
Affirmation numéro 3 : il ne peut y avoir de livre numérique, l'écrit avec l'outil numérique est fatalement autre chose qu'un livre.

Affirmation numéro 4 : l'existence du numérique et la persistance de la forme papier du livre produisent doucement une hybridation du livre.

Lirina Bloom
à partir des fragments publiés et lus via Twitter.
mai 2015. ©

jeudi 30 avril 2015

Quatrième méditation sur le LIVRE. 43 à 56

Le livre, cet objet sacré. Mais qu'est-ce que le sacré aujourd'hui ?
Le livre, cet objet démocratisé. Mais qu'est-ce que la démocratie aujourd'hui ?

Le livre a un format, un tirage, une date, un auteur, un éditeur, des lecteurs. Mais qu'est-ce qu'un lecteur aujourd'hui ?
Le livre a une couverture, une tranche, un dos, une quatrième, un titre, un auteur et un éditeur. Mais qu'est-ce qu'un éditeur aujourd'hui ?

Est-il judicieux ou tout simplement iconoclaste de réfléchir au livre sur un media de la Toile destiné à diffuser des informations brèves ?

Information brève numéro 1 : le livre est mort.
Information brève numéro 2 : le livre est toujours vivant.

Variante de l'information brève numéro 1 : la Toile a tué le livre.
Variante de l'information brève numéro 2 : la Toile redonne vie au livre et le transforme. 

Grace à la Toile, le livre vit une vie nouvelle.

Le livre s'écrit matériellement lettre par lettre mais mentalement phrase à phrase.

Une coupure de courant générale engloutirait en un instant tous nos livres de lumière comme ferait l'incendie en une bibliothèque de papier.
La perspective d'une coupure de courant générale nous contraint à imprimer, sur papier, quelques livres de lumière en guise de momification.

Les livres seraient les pyramides de notre temps, tombeaux et conservatoires de nos écrits les plus beaux.

Car les livres nous survivent presque autant que les pierres.



Lirina Bloom
à partir des fragments publiés et lus via Twitter.
avril 2015. © 


mercredi 29 avril 2015

Troisième méditation sur le LIVRE. 29 à 42

La bibliothèque obéit aux Arts de la Mémoire qui lient spatialisation et mémorisation.

Le livre aussi est un espace, plus exactement un volume. Il a une épaisseur, une longueur et une largeur : le livre est un espace euclidien.
Le livre est un espace euclidien, mais pas seulement, le livre est aussi un espace mental.
Avec le livre, l'espace euclidien s'inscrit dans l'espace mental, ce qui permet de situer précisément tel ou tel élément du livre.
Mais l'espace mental du livre déborde l'espace euclidien. L'espace mental du livre communique avec l'entièreté du monde perçu.

Le tweet est-il brouillon du livre, système de contrainte, mise à l'épreuve de la phrase, ou bien assurance de la régularité de l'écriture ?

Comment transposer le livre à l'écran ?
Comment transposer les lettres de lumières en lettres d'encre ? les pages de lumière en pages d'encre ?

Se demander enfin tout ce que l'écran doit au livre.

Mais qui se soucie encore de la question du livre ?

L'écriture est sortie des pages du livre. Voilà la vérité. L'écriture erre, comme la parole, déboussolée.

L'écriture est-elle une silencieuse parole à laquelle un lecteur donne une voix ?

Le livre est-il le lieu des bruissements du sens ?

Le livre est-il le lieu du bruissement des mots ?


Lirina Bloom
à partir des fragments publiés et lus via Twitter.
avril 2015. © 

mardi 28 avril 2015

Deuxième méditation sur le LIVRE. 15 à 28

Le livre met le monde à l'échelle humaine.

Faut-il trouver un nouveau mot pour designer ces livres qui s'écrivent et immédiatement se lisent en déroulant le fil des Timelines ?

L'illustration du livre par des images a-t-elle commencé par un travail autour de la lettre ? Et par enluminures, fleurons et culs de lampe.
Dans le livre, l'image n'est pas toujours simple illustration, alors elle ne vient pas redoubler le sens porté par lettres, mots et phrases.
Dans le livre, et quel que soit son support, papier, papyrus ou écran, les modalités de dialogue entre images et lettres sont innombrables.

Le livre est-il en passe de devenir un volume virtuel, un volume à imaginer dont les pages au lieu de se tourner, se déroulent et défilent ?

Le livre tient dans la main.

Le livre est-il devenu une vieille baderne ?
Parler du livre est-il complètement démodé ?

Écrire sur le Fil et rêver du Livre.

L'amour du livre survit dans les maisons éditions où on découpe et colle à la main quand aucune machine n'aurait permis de réaliser l'effet.

La ligne éditoriale est la trace subtile du désir de l'éditeur et pas un créneau entendu comme niche commerciale.


Mais l'idée du Livre s'est transposée aux écrans.

Peut-on se passer de la représentation mentale du contenu d'un livre ?




Lirina Bloom
à partir des fragments publiés et lus via Twitter.
avril 2015. © (?)

lundi 27 avril 2015

Première méditation sur le LIVRE - 1 à 14


Le livre commence avec le rêve du livre.

Plus qu'un support, le livre est une forme, avec un début et une fin. Ainsi se pose la question de commencer à écrire un livre. Et le finir.
Ainsi, le livre avec son commencement (bereshit) et sa fin (end) est métaphore du temps de nos vies, espace entre nos naissances et la mort.
Le livre demande du temps.
Penser le livre comme miroir du monde, c'est tenter de hisser nos vies aux dimensions du ciel.

Il y a le livre comme objet de papier et encre, carton, colle, ficelles ; il y a l'idée du livre avec ses lettres de lumières et ses écrans.
Extraire du livre l'idée du livre et transposer sa structure (une autre) aux écrans de lumière.

Le livre était-il le livre lorsqu'il s'écrivait aux surfaces des pierres ?
L'épopée de Gilgamesh est un livre de pierre.

Le livre reste un livre en changeant de support, c'est ce qui le fait livre.
Dans les débuts de la presse à grand tirage, des livres ont été écrits sous forme de feuilletons.
Le mot feuilleton désignait la partie basse du journal ou rez de chaussée. On occupe d'abord le "feuilleton" ou "rez-de-chaussée" du journal avec des critiques dramatiques.
Dumas, Balzac, Eugène Sue, Zola, Ponson du Terrail écrivent au rez-de-chaussée ou feuilleton des journaux des livres, romans fleuves, sagas.

Le livre découpe l'espace et le temps.


 Lirina Bloom


Mars 2015. ©

samedi 14 mars 2015

Dis-moi dix mots. Pour Monique Le Pailleur. In Memoriam

Définitions rêvées

Dans Amalgame, il y a le mélange et la confusion mais aussi la musique, ses gammes et ses maux. Or amalgame viendrait de l'arabe ou du grec.

Dans Bravo, on lit l'Italie, un public battant des mains, mais dans Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand, c'est un tueur à gages vénitien.

Dans Cible, il y a ce qu’on vise très précisément, mais aussi le sifflement de la flèche et son impact quand elle est arrivée à destination.

Dans Grigri, il y a ces petits objets magiques que l'on porte sur soi, mais aussi toutes sortes d'insectes et dans nos nuits leurs concerts. 

Dans le mot Inuit, il y a un tout un peuple, sa langue et l'idée d'humanité en l'homme, et puis aussi la nuit bleue et glacée de l'arctique.

Dans Kermesse, il y a la messe et l'église mais aussi les flonflons du bal, les tirs à la carabine, les manèges, les tombolas et les clowns.

Dans Kitsch, il y a le mauvais goût, ce dont personne ne voudrait et que, du coup, on veut. Dans kitsch, on entend une onomatopée du dégoût.

Dans Sérendipité, il y a de la sérénité et du dépit, ainsi, par hasard, on trouve ce qu'on ne cherchait même pas, puis on sait s'en réjouir.

Dans Wiki, il y a l'idée de l'encyclopédie de D'Alembert et de Diderot, un savoir partagé, mais aussi le nom d'un ourson qui sert de doudou.

Dans Zénitude, il y a zen, c'est sûr, zazen, mais on pense à zinzin, zazou, zèbre, aussi à finitude, habitude, altitude, puis donc à zénith.


Lirina Bloom. 
Mars 2015
In memoriam.



Suivre les liens pour trouver les informations sur le jeu concours pédagogique. Merci à Nathalie Couzon pour son invitation au partage.

dimanche 26 octobre 2014

Premières questions sur la poésie.



La poésie est-elle un sirop ?
Garder le tranchant du poème.

La poésie est-elle un îlot ?
Préserver l'ouverture du poème.

Le poème est-il un tombeau ?
Arpenter les cimetières de poèmes.

La poésie est-elle un brûlot ?
Plonger dans l'eau du poème.

Le poème est-il un sanglot ?
Puiser dans les pleurs le poème.

La poésie est-elle route pour la gloire ?
Serpenter dans les traces du poème.

Le poème est-il un bibelot ?
Ciseler la dentelle du poème.

La poésie est-elle un marigot ?
S'enliser dans les arcanes du poème.

La poésie est-elle un coquelicot ?
Parsemer de rouge-sang le poème.

La poésie n'est-elle que des mots ?
Hurler, murmurer ou taire le poème.

La poésie est-elle un confessionnal ?
Écrire des poèmes de comptoir.

La poésie est-elle dans l'alinéa ?
Écrire des poèmes en prose.

La poésie peut-elle se passer de la rime ?
« Que vers il y a sitôt que s'accentue la diction, rythme dès que style . »

La poésie doit-elle être engagée ?
Maiakovski recommande d'introduire le langage quotidien dans le poème.

La poésie est-elle aussi indispensable que l'air, l'eau, le feu ou la terre ?
Écrire sur le fil des poèmes underground.

La poésie vit-elle des gros sabots des sentiments ?
Écrire une poésie de l'inframince.



Lirina Bloom 
avec Mallarmé, Maïakovski et Marcel Duchamp.


mercredi 17 septembre 2014

Les maisons en héritage.



Les maisons pleurent-elles de voir se battre pour elles les héritiers ? Ou rient-elles de l’abandon où ces luttes les laissent ?


Les murs suintent et les chambres puent la moisissure.
La poussière s’entasse aux seuils, signant le vide.
La porte grince quand on l’ouvre. Les écailles de peinture ornent les persiennes.
Les maisons savent exactement ce que veut dire le mot décrépitude.

Elles ignorent la métaphore de la ruine, elles sont la ruine même et en personne.






Une histoire qui s’étiole, se fane et puis pourrit.
Les héritiers ont laissé faire au temps ce qu’ils n’avaient pas le courage de réaliser.
Mettre en pièce, dépecer, disperser, distribuer, se partager, démonter, séparer le bon du mauvais.

Ne plus voir que la blancheur des os nus.
Contempler la rigueur du squelette. 

Pour cela, il faut attendre. Il faut passer par le désordre des chairs et l'odeur et la nausée.







Les maisons savent exactement ce que veut dire le mot nauséabond. 

Elles étaient ce nid, comme un ventre d'où il faut bien sortir. Elles étaient cette douceur de revenir pour  revivre l'audace des départs.





Elles avaient ce parfum familier, indescriptible et pourtant parfaitement reconnaissable. 



Elles avaient cet ordonnancement un peu désuet qui suscite le passé et la nostalgie.





Aussi, dans les ruines des maisons, le désastre est grand, car il atteint les corps qui nous ont fait naître.


Une sœur ennemie veut rester seule pour restaurer le lieu dans sa splendeur passée. 
Curer la maison, remettre un bon coup de blanc, trier le bon grain et l'ivraie.

Mais qui restaurera le savoir ancien de faire tenir ensemble les contraires.



Qui choiera les nuances, les perspectives, les différences, les variations subtiles ou radicales.


Dans la poussière tout finit par se confondre. Pire, tout finit par se fondre en poussière. 

Les larmes font  des coulées de boue.

Ni perles, ni diamant.

Seuls restent les yeux hagards des enfants égarés. 


La maison en héritage contient toutes les maisons d'enfance. 

Les meubles ont transité et sont arrivés là et ils se sont figés. 

Perclus de souvenirs.







Ils sont d'abord allés de l'intérieur du pays vers le bord de mer, puis de la campagne à la cité dans la ville basse, puis après l'attentat ils sont partis sur les hauteurs surplombant un autre bord de mer, puis ils ont été transportés dans des containers sur des navires, puis ils étaient à la lisière du village et puis en son cœur. Alors, ils sont restés là.


Les héritiers doivent patiemment vider les objets de leur sens pour pouvoir s’en défaire.




Ou transporter ce sens ailleurs, dans une image, dans des mots, des rires ou des larmes échangées, dans les fêlures secrètes.

Les maisons dont on hérite doivent être évaluées et les objets qu’elles contiennent aussi.

Chaque objet, un par un, doit rencontrer son destin. Il y faut un classement : directement et sans réfléchir à la poubelle, ce sont les plus simples, mais il y a  aussi moche avec valeur, moche sans valeur, affectif beau, affectif moche, périmé, démodé, vintage, antiquité, prendra un jour de la valeur, encombrant, facile à transporter, léger, pesant, en miette, cassé, à recoller, cassé à jeter, à jeter sans regret, à jeter en s’arrachant le coeur, dangereux, coupant, rose bonbon, bleu pétard, crocheté par la grand mère adorée, hérité déjà d’une soeur par la mère, évoquant la maladie du père … 





Cela n’en finit pas.

Le classement erre. Penser, classer. La pensée aussi s’égare, le classement s’en ressent. Les bords des ensembles sont flous, les sous ensembles se multiplient à l’infini, alors, faudrait-il une classe pour chaque objet, la liste, au un par un : aucun groupe ne survit, ils se font et aussitôt se défont.





Les maisons dont on hérite créent le désordre de l’esprit, embrouillent les idées, créent un épais brouillard, donnent envie de fuir et de mettre la tête dans le sable.







C’est alors qu’on tombe sur les derniers objets portés par la morte, la dernière chemise qui a touché sa peau, sa brosse à dent, sa bague de fiançailles et son alliance dans lesquelles est passée la chaine qui était à son cou, pour que le tout tienne ensemble, pour que rien ne se perde vraiment, et puis un petit pot de crème de nuit à l’odeur familière, le sac à main, un porte monnaie et dedans quelques pièces, un répertoire où on lit des noms, des adresses et des numéros de téléphone, un post-it qui dit "Play : attention, pour démarrer il suffit d’appuyer sur play ».





On pensait avoir tout jeté en mettant le corps en bière, en regardant hallucinés le cercueil descendre dans la fosse, en réprimant le cri, en contenant les larmes, en faisant ce silence là, le seul qui soit à même de dire quelque chose du renoncement à la vie de celui qui va en son tombeau, sa dernière demeure.





Mais il reste aux héritiers la maison : sa dernière maison, celle rêvée par la morte comme le lieu des retrouvailles après son définitif départ.

Elle n’avait pas imaginé que son absence entrainerait avec elle tous les liens.




Les liens se sont défaits - tous - et reste la maison, à dépecer, à éventrer, à retaper, à redistribuer, à découper, à vider comme on dit d’un poulet, d’un lapin, ou d’une oie.

Il faut y mettre la main, le bras et tout le corps, y entrer, contempler l’absence puis le désastre de la perte du sens de chaque objet, des motifs des tapisseries, de la couleur des peintures, de la disposition des meubles, des lustres.

Aux lustres, on a laissé une seule ampoule, en entrant dans la maison, les héritiers rebranchent le compteur, en sortant ils le coupent.






Ils coupent l’eau aussi. 
Un seul robinet n’est pas bloqué par le calcaire et seules les toilettes extérieures sont utilisables.










Le jardinet est envahi de branches mortes, les arbres des voisins sont parvenus à gagner du terrain. La balancelle blanche a pris une couleur de rouille, tout grince.

La maison des héritiers va résolument vers l’immobilité. Se figer, se raidir, refuser l’entrée, perdre son sens puis sa voix.




Les maisons des héritiers, qu'elles soient grandes ou petites, modestes ou cossues, belles ou laides, sombres ou lumineuses, incitent aux mêmes tourments, aux mêmes rivalités, aux mêmes guerres.

C'est simple alors, on ne se parle plus. On évite de se voir, de se croiser même, de s'inviter, et surtout de se retrouver au même moment ensembles dans la maison.

C'est simple. On ne peut plus se voir.



Les héritiers viennent tour à tour tenter d'en extraire un peu de ce qui a fait leurs joies : enfance, tendresse, rires, germe des inventions futures, indéfectibles liens, persiennes animant les raies de lumière pendant les siestes, couleurs incongrues des couvertures, broderies des initiales sur les draps, poupées décolorées, livres aux reliures de cuir, petits bols de cuivre, napperons crochetés par l'aieule, chansons anciennes, photographies aux bords dentelés...







Les héritiers méritent-ils les maisons en héritage?


Lirina Bloom 

avec les maisons-collages de Louys Green ©